L'expérimentateur et la théorie

Même pour un expérimentateur, la théorie est importante : comme l'a dit Einstein, c'est la théorie qui guide l'expérimentateur.

Tout commence par une idée du chercheur. Ensuite, le chercheur se penche sur la théorie pour savoir si son idée peut avoir une application. C'est le but de la recherche bibliographique : on se penche sur ce qui a déjà été fait sur le sujet ou sur des sujets proches ; on cherche s'il existe des bases théoriques pour appuyer l'idée que l'on a eue. C'est un travail fastidieux et pourtant très important : sans vérifier que la théorie est bien compatible avec l'idée que l'on a eue, le risque est de travailler pendant un certain temps (parfois des années !) sur un sujet qui de toute façon n'aboutirait à rien. Autant s'en assurer dès le début...

Dans le cas du rayonnement de Hawking, la controverse fait rage [6] : certains (le prix Nobel de Physique Wolfgang Ketterle par exemple) pensent que la détection du rayonnement de Hawking en hydrodynamique est, dans l'état actuel des techniques, impossible à court et moyen terme ; en revanche, d'autres comme William Unruh, sont optimistes et espèrent des résultats rapidement.

Il existe un autre problème : l'analogie entre la relativité générale et l'hydrodynamique est-elle encore valable dans les domaines d'étude concernés par le rayonnement de Hawking ? En effet, les analogies ont des limites : par exemple, l'eau est un fluide dispersif pour les ondes de surface tandis que le vide ne l'est pas du tout, du moins dans les domaines qui ont été étudiés jusqu'à présent.

 

Le rayonnement de Hawking lui-même est sujet à controverse. L'effet Unruh est un effet plus général que l'effet Hawking : un détecteur uniformément accéléré verrait une température apparaître, même dans le vide [3]. En relativité générale, un champ gravitationnel est équivalent à un champ d'accélération, donc l'effet Hawking pourrait être considéré comme un cas particulier de l'effet Unruh.

Il est généralement accepté que l'effet Unruh existe sans qu'on l'ait mis en évidence expérimentalement : un détecteur uniformément accéléré se trouverait plongé dans un bain à une température non nulle (on se réchauffe en accélérant).

 

La méthode de mesure

Une fois que l'idée semble raisonnable, il faut encore trouver le bon protocole d'expérience, celui qui permettra d'observer le phénomène voulu. Dans notre cas, est-il plus facile d'observer une cascade, un écoulement dans un chenal ou encore un jet d'eau sur une plaque ?

Et quelle technique de mesure utiliser ? L'observation de la surface libre d'un liquide est encore quelque chose de mal maîtrisé. Il existe différentes méthodes de mesure :

Ces trois méthodes sont efficaces mais ne permettent que de mesurer la hauteur d'eau en un point ou sur une ligne de points. Ce que nous voudrions, c'est mesurer la déformation de la surface libre en entier. C'est à cela que sert la PIV.

 

A l'origine, la PIV (vélocimétrie par images de particule) sert à mesurer la vitesse d'écoulements dans un fluide. On injecte des petites particules dans un fluide que l'on éclaire avec une nappe laser. Les particules diffusent la lumière et une caméra de précision capture les images. L'image est ensuite traitée par ordinateur pour mesurer la vitesse de chaque particule.

 

 

L'idée de la mesure d'une surface libre grâce à la PIV a été développée à l'université d'Orsay [7]. Le principe est de placer une image au fond de l'eau et la caméra loin au-dessus de l'eau, suffisamment pour pouvoir considérer les rayons comme parallèles. Lorsque la surface libre est au repos, les rayons lumineux traversent l'interface eau-air sans être déviés.

Par contre, lorsque la surface est perturbée, les rayons sont déviés, et donc les points de l'image semblent s'être déplacés. On utilise le logiciel de PIV pour calculer la vitesse de ces points. A partir de là, on peut remonter à la hauteur d'eau et donc à la forme de la surface libre en faisant des approximations. En effet, les formules obtenues ne sont pas généralement inversibles, mais les approximations (fable déformation (η<<h0), faible pente (angle petit par rapport à l'horizontale)) permettent d'inverser les équations obtenues.

Cette méthode est encore très récente et il est possible qu'elle ne fonctionne pas aussi bien que ce qui serait nécessaire : un article a été publié en France [7]. Dans la durée de notre stage, nous avons effectué des essais et des réglages sur le montage.

Résultat obtenu pour une goutte d'eau que l'on a laissé tomber

 

Le montage de l'expérience

Dans son laboratoire, un chercheur ne peut pas tout faire lui-même, il doit faire appel à des techniciens pour adapter du matériel, construire des supports...

Souvent, l'idée que l'on se fait d'un objet, d'un montage n'est par forcément facilement réalisable, et on se retrouve avec quelque chose qui ne correspond plus à ce qu'on voulait. Tout l'art d'un expérimentateur, c'est de jongler entre ses besoins, ce que comprennent les techniciens (il est parfois difficile d'exprimer une idée clairement), ce qu'ils peuvent faire...

 

En définitive, le métier de chercheur est constitué de plusieurs aspects : il faut savoir prendre des risques pour publier des articles innovants, sans pour autant s'engager sur des voies sans issue ; il faut aussi savoir traiter avec des personnes qui n'ont pas forcément la même approche d'un problème technique, discuter et faire comprendre son idée à quelqu'un qui pense différemment. Plus tard (mais ce n'est pas un aspect que nous avons vu au cours de notre stage), il faut aussi être capable de présenter son expérience, son travail à ses pairs.