Les fossiles de l'archéologie galactique
L'archéologie galactique est l'étude des vieilles étoiles, pour nous permettre de reconstruire l'histoire de notre Galaxie. Contrairement à l'observation des galaxies lointaines qui nous permettent de littéralement regarder dans le passé, l'étude des étoiles proches est une manière plus indirecte de retracer les évènements. En effet, en étudiant une étoile de notre Galaxie, on peut extraire 4 données qui vont nous permettre de comprendre d'où vient cette étoile et quelle est son histoire : ce sont les fossiles de l'archéologie galactique.
La position des étoiles
Pourquoi ?
Tout d'abord, le plus important mais pas le plus simple à obtenir, nous avons besoin de situer cette étoile de manière assez précise.
En effet, la position des étoiles par rapport au Soleil (et par changement de référentiel, leurs positions dans la Voie Lactée) nous permet de connaitre les densités d'étoiles à différents endroits de la Galaxie. C'est ainsi que nous avons pu comprendre la géométrie et la morphologie de notre Galaxie (bulbe, disque mince, disque épais et halo cf. Introduction).
Cela permet également de déceler les structures internes plus petites de la Voie Lactée, tel que des courants d'étoiles, résultats d'une galaxie naine proche en train de se faire accréter ! (voir figure ci-dessous)
Ceci est une image appelée "Champ de courants" obtenue par le relevé photométrique Sloan Digital Sky Survey. On y voit la densité en étoiles du halo de notre galaxie. Le code couleur représente la distance de l'étoile (rouge pour les plus lointaine et bleu pour les plus proches) et l'intensité représente la densité d'étoiles.
Les unités utilisées
L'unité de mesure des distances pour notre voisinage très proche est l'Unité Astronomique (UA), qui est la distance entre la Terre et le Soleil, soit environ 150 millions de kilomètres. Pour les étoiles plus lointaines, le plus pratique est de calculer les distances en parsec : le parsec est la distance sous laquelle 1 UA sous-tend 1 seconde d'arc (3.1013 km ou 3,26 années lumières). Autrement dit, 1UA = 1pc ∗ 1”
Schéma montrant la définition d'un parsec. Source
Pour les objets plus lointains, nous utilisons la méthode de la parallaxe. La parallaxe héliocentrique (ou encore parallaxe annuelle ou stellaire) d'une étoile est l'angle sous lequel on verrait, depuis cette étoile, le demi-grand axe de l'orbite de la Terre. La parallaxe d'une étoile se situant à 1 parsec est donc 1”.
Comment l'obtenir ?
La parallaxe est mesurée en prenant la différence de position de l'objet (sur le fond des étoiles très lointaines, fixes) observé lorsque la Terre occupe les deux positions opposées de son orbite autour du Soleil. Plus une étoile est éloignée, moins sa parallaxe est grande, donc plus elle est dure à mesurer.
Une autre manière de trouver la position d'un objet est d'utiliser la magnitude. La magnitude apparente d'une étoile est la mesure de sa luminosité dans le ciel. On peut grâce à plusieurs modèles (diagramme HR, ...) estimer sa magnitude absolue (c'est à dire sa luminosité intrinsèque) étant donné sa température et sa masse, deux mesures obtenues spectroscopiquement.
Grâce à la différence entre la magnitude absolue et la magnitude apparente, on peut ensuite estimer sa distance par rapport au Soleil en utilisant une formule appelée "module de distance".
La vitesse
Pourquoi ?
La vitesse des étoiles est l'élément le plus important pour comprendre les dynamiques au sein de notre galaxie. On peut étudier les orbites des étoiles et, grâce à la conservation du moment angulaire, retrouver celles ayant appartenu à une galaxie naine accrétée. Ces dernières auront une orbite excentrée.
En se plaçant en coordonnées cylindriques pour mieux épouser la forme et les dynamiques connues de notre galaxie, on distingue les 3 projections du vecteur vitesse d'une étoile : la vitesse radiale, la vitesse azimutale (angulaire), et la vitesse selon l'axe Z.
Les deux premières décrivent les vitesses dans le plan de la Galaxie, tandis que celle selon l'axe Z est surtout intéressante pour les étoiles situées dans le halo pour essayer de comprendre pourquoi ces dernières se sont "échappées" du plan galactique.
Comment l'obtenir ?
Ceci est fait avec la spectroscopie (ou spectrométrie), qui est l'étude du spectre électromagnétique d'un objet par décomposition de la lumière venant de ce dernier.
On va s'intéresser ici au spectre d'absorption d'une étoile. On calcule les vitesses radiales (HRV) avec la spectroscopie grâce à l'effet Doppler. En effet, les raies d'absorption connues (celles de l'hydrogène par exemple) vont se retrouver décalées sur l'axe des longueurs d'ondes en fonction de la vitesse de l'étoiles par rapport au Soleil.
Si l'étoile se rapproche de nous, son spectre va être soumis au "blueshift" (décalage vers le bleu). A l'inverse, si elle s'éloigne de nous, son spectre sera "redshifté". On remarquera donc sur le spectre d'une étoile que tous les pics d'absorption habituels seront décalés dans un sens ou dans l'autre. On retrouve grâce à cela la vitesse HRV d'une étoile.
La résolution d'un spectre peut être évaluée par :
R = λ / δλ
Avec λ la longueur d'onde à laquelle la résolution est calculée et δλ l'intervalle de longueur d'onde de la largeur à mi-hauteur d'une raie. Donc plus la résolution est haute, mieux on peut mesurer la longueur d'onde d'un pic et donc en déduire plus précisément la vitesse radiale d'une étoile.
A partir de ces spectres, on retrouve également la température effective d'une étoile (température de surface), sa gravité de surface (directement liée à sa masse), et sa métallicité (voir paragraphe suivant).
Pour obtenir les vitesses galactocentriques à partir de ces vitesses radiales (HRV), nous avons besoin de connaître la distance de l'étoile avec le Soleil, ainsi que sa vitesse transversale ("vitesse propre" de l'étoile projetée dans le ciel) que l'on calcule en observant les déplacements très faibles de l'étoile dans notre ciel en enlevant les effets du mouvement de la Terre. Ce déplacement est appelé μ, et s'exprime en milliarcseconde par an.
Ainsi nous avons la vitesse transversale :
$$ V_t=C \cdot d \cdot \mu $$
avec C une constante et d la distance de l'étoile.
La vitesse totale s'écrit donc :
$$ V_{tot}=\sqrt{(HRV)^2 + (V_t)^2} $$
Schéma montrant la décomposition de la vitesse totale ("Space velocity") par la vitesse HRV ("Radial velocity") et la vitesse propre ("Transverse velocity") d'une étoile. Source
Les incertitudes sur la vitesse transversale sont beaucoup plus importantes que celle sur la vitesse radiale héliocentrique (HRV), car la distance d'une étoile est une donnée très compliquée à obtenir, et beaucoup moins précise. Il faut pouvoir mesurer des déplacements très petits dans le ciel.
Nous connaissons les composantes des vitesses de notre Soleil par rapport au centre de la Galaxie ("peculiar solar motion"), donc par un simple changement de référentiel on obtient la vitesse galactocentrique de l'étoile :
$$ V_G=\sqrt{{(V_R)^2 + (V_\phi)^2 + (V_Z)^2}}=V_{tot}+V_\odot $$
avec V☉ la vitesse galactocentrique du Soleil.
La composition chimique
Pourquoi ?
La composition chimique d’une étoile nous permet de savoir la composition du milieu interstellaire où elle a été créée. En effet, après sa création, la (quasi-)totalité de l’énergie produite par l’étoile provient de la fusion nucléaire continue en son noyau. Ainsi, les éléments plus lourds créés par fusion restent au centre de l’étoile par gravité, et seuls les éléments présents lors de l’effondrement gravitationnelle de l’étoile (à sa naissance) restent en surface.
La lumière émise par une étoile est produite par la couche gazeuse externe appelée photosphère. Cette couche est constituée de gaz chauds à haute pression, elle produit une lumière dont le spectre est continu. En fait, la lumière émise par la photosphère va traverser une autre couche de l’étoile : la chromosphère.
Schématisation des "couches" d'une étoile. Source
A la périphérie de la photosphère (c'est-à-dire dans la chromosphère), les conditions sont réunies pour qu’un phénomène d’absorption ait lieu. Ainsi les raies d’absorption du spectre d’une étoile permettent de connaître la composition chimique de son atmosphère. Le spectre d’une étoile ne provient donc que de la lumière émise par sa surface ; nous sommes bien en train d’observer les éléments présents lors de la création de l’étoile.
On peut ainsi connaître la composition du milieu interstellaire au moment de la formation de l’étoile.
Il est intéressant de regarder la métallicité [M/H] d’une étoile, qui représente la fraction de sa masse constituée de métaux. En astrophysique, tous les éléments autres que l’hydrogène et l’hélium sont considérés comme des métaux. On classe la métallicité des étoiles sur une échelle logarithmique avec comme référence le Soleil (i.e. [M/H]☉ = 0). Une étoile avec une métallicité de -1 est donc 10 fois moins métallique que le Soleil.
On sait que lorsqu’une étoile meurt elle rejette dans le milieu interstellaire avoisinant tous les éléments présents en son cœur, qui vont être la base des prochaines étoiles formées. On en déduit que plus une étoile est métallique, plus l’endroit où elle a été formée est dense en étoile. Ainsi les étoiles les plus âgées seront les moins métalliques (à un endroit donné).
Comment l'obtenir ?
Comme dit juste au-dessus, on obtient la composition chimique d’une étoile par spectroscopie, en observant les raies d’absorptions.
Dans le spectre d’absorption obtenu de la lumière émise par l’étoile, les longueurs d’ondes de ces raies sont caractéristiques des éléments présents dans la chromosphère de l’étoile. En les comparant aux spectres d’émission d’entités chimiques de référence, on pourra déterminer la composition de l’atmosphère de l’étoile.
On peut également évaluer la qualité d’un spectre en regardant son SNR (« Signal over Noise Ratio », ou « rapport Signal sur Bruit » en français).
Spectre de Véga dans la constellation de la Lyre, qui est l'une des étoiles les plus brillantes de notre ciel, donc l’une des plus proches. On y voit très clairement les pics d’absorption. C’est l’exemple d’un spectre avec un excellent SNR (très élevé). Source
Spectre de l’étoile Shedir dans la constellation Cassiopée : c’est une étoile lointaine, et on remarque tout de suite la différence de qualité du spectre. Les pics sont beaucoup moins discernables et le bruit est très élevé. Voici l’exemple d’un spectre avec un SNR faible, qui reste exploitable. Source
L'âge
Pourquoi ?
La composition chimique et l'âge d'une étoile sont fortement liés, comme nous avons pu le voir dans le paragraphe précédent. En effet les étoiles peu métalliques sont les étoiles les plus vieilles.
Nous cherchons donc à connaitre l'âge des étoiles pour la même raison que nous cherchons à connaitre leur composition : comprendre la formation et l'évolution des différents milieux interstellaires, et à différentes échelles.
Comment l'obtenir ?
L’âge des étoiles est très difficile à obtenir. Il existe plusieurs méthodes, comme l'astérosismologie (mesure des oscillations de l’atmosphère des étoiles), diagramme HR (en tabulant la métallicité, la température et la gravité de surface avec des calculs théoriques d’évolution stellaire), qui néanmoins impliquent de larges incertitudes. C’est pour cette raison que l’on combine l’âge avec les autres fossiles galactiques décrits plus haut.
Récapitulatif
En mettant en commun la position d’une étoile, sa vitesse, sa composition chimique et son âge, on peut donc savoir : d’où vient cette étoile, et quel était la composition chimique du milieu où elle s’est formée à une époque précise.
Les sous-ensembles des propriétés observables d’une étoile. Ces propriétés sont indépendantes les unes des autres et peuvent donc être considérées comme des dimensions. Source
L'information la plus basique est le nombre d'étoiles, en fonction de la position et de la magnitude (2-D). Cela nous a permis de montrer l'aplatissement de notre Galaxie, avec le Soleil dans le plan de cette dernière (disque mince). Une analyse plus détaillée requiert la notion de distance, que l'on déduit de manière la plus précise avec la parallaxe. Ces informations "3-D" ont permis de déterminer la structure tri-dimensionnelle de la Galaxie. En répétant ces observations dans le temps, nous obtenons la vitesse propre des étoiles ce qui nous donnent 2 nouvelles dimensions. En ajoutant la vitesse HRV, qui demande elle l'étude d'un spectre, nous arrivons à un espace des phases à 6 dimensions pour une étoile donnée : 3 composantes pour la position et 3 autres pour son vecteur vitesse.
Beaucoup de dimensions supplémentaires dérivent de la composition chimique. Ces dernières sont reliées au moment et à l'endroit de la formation de l'étoile, et l'histoire de la production d'éléments, des supernovas et des flux de gaz entrants et sortant de la région de formation de l'étoile. Cependant, les distance en jeu sont énormes, ce qui implique des parallaxes très faible et compliquées à mesurer précisément. Ce n'est que depuis très récemment, grâce aux différentes missions ayant pour but de cartographier notre Galaxie de plus en plus précisément, que nous pouvons étudier des étoiles aussi lointaines avec une précision absolument extraordinaires compte tenu des distances astronomiques nous séparant des objets étudiés.