En 1879, Edwin Hall alors doctorant découvre que la résistance est affectée par le champ magnétique comme se demandait Maxwell. Il montre que lorsque qu'un conducteur parcouru par un courant électrique est soumis à un champ magnétique perpendiculaire, il apparaît alors une différence de potentiel $V_H$ due à l'accumulation des porteurs de charge sur les faces opposées du matériau selon sa largeur comme l'illustre l'image ci-dessous :
Géométrie de l'effet Hall
Sans entrer d'avantage dans les détails calculatoires qui sont fournis dans le rapport à la partie 3, on remarque que la résistance de Hall est linéairement proportionnelle au champ magnétique telle que $R_H = \frac{B}{nq}$, avec $B$ la norme du champ magnétique, $n$ la densité de porteur de charge et $q$ la charge associée d'un porteur.
Bien plus qu'une simple curiosité de physiciens, l'effet Hall y trouve des applications dans l'industrie et notamment à la confection de capteurs à effet Hall, qui permet de détecter un champ magnétique ou ses variations en mesurant la tension. Le secteur automobile en confectionne énormément (à hauteur de deux milliards par an) pour mesurer les éléments en rotation des pièces du moteur ou de la boîte de vitesses. Certains smartphones et tablettes en sont aussi équipés pour détecter les fermetures et ouvertures des clapets.
Mise en contexte de l'effet Hall quantique
En 1980, à Grenoble, le physicien Allemand K. Von Klitzing effectue des mesures de l'effet Hall en prenant des conditions inédites en augmentant considérablement le champ magnétique de l'ordre d'une dizaine de Tesla et à très basse température, proche du zéro absolu (environ $1K$). Il remarque alors que la résistance de Hall est quantifiée, présente sous la forme de plateaux.
Quantification de la résistance de Hall sous forme de plateaux
Pour bien comprendre ce phénomène, nous verrons dans un premier temps une approche fondée sur la quantification du mouvement des particules plongées dans un champ magnétique uniforme [4] et c'est ensuite que nous verrons dans une seconde approche, comment en utilisant des arguments de topologie nous pouvons arriver aux résultats similaires.
Mouvement classique d'une particule dans un champ magnétique
Trajectoire d'une particule chargée et sa projection dans le plan
A partir de l'équation du mouvement des équations de Newton, et en négligeant évidemment la force de gravité, on a seulement la force magnétique :
$m\frac{d\vec{v}}{dt} = q\vec{v}\land\vec{B}$
La trajectoire de la particule se fait alors sur des orbites circulaires dont le rayon est $\rho = \frac{mv}{qB} = \frac{v}{\omega_c}$ avec $\omega_c = \frac{qB}{m}$ appelée la fréquence cyclotron ou la fréquance de Larmor. Pour une charge $q < 0$, typiquement un électron, le mouvement est donc :
$x(t) = x_0 + \rho \cos(\omega_c t)$
$y(t) = y_0 + \rho \sin(\omega_c t)$
avec $x_0$ et $y_0$ les coordonnées du centre du cercle. Les projections sur les axes $Ox$ et $Oy$ donnent deux oscillateurs harmoniques que l'on retrouvera en mécanique quantique.
Les changements de jauges électromagnétiques et quantiques
Avant de rentrer dans les calculs de mécanique quantique, il est nécessaire de faire un point sur les changements de jauge électromagnétique et quantique [5, 6].
En mécanique classique, le champ magnétique peut s'écrire en fonction d'un potentiel vecteur $\vec{A}$ de sorte que $\vec{B} = \vec{\nabla}\land\vec{A}$. Le champ $\vec{B}$ doit, comme toutes autres quantités mesurables, être indépendant d'un choix de jauge. En effet, une quantité physique dépendante d'un choix de jauge n'a pas de réalité physique, cela voudrait dire qu'une quantité varie suivant la façon dont on l'observe expérimentalement.
Si l'on considère une transformation de jauge telle que $\vec{A} \rightarrow \vec{A'} = \vec{A} + \vec{\nabla}\chi$ le champ magnétique $\vec{B}$ reste inchangé. On peut donc adapter notre potentiel vecteur de manière à nous arranger.
Exemple : champ magnétique uniforme
Considérons un champ magnétique uniforme tel que $\vec{B} = B\vec{e_z}$. Ce champ magnétique peut être décrit par une jauge appelée jauge symétrique, se présentant de la forme :
$\vec{A} = \frac{1}{2}\vec{B}\land\vec{r} = \frac{B}{2}(-y,x,0)$
On remarque aisément que $\vec{\nabla}\land\vec{A} = B\vec{e_z}$ et que donc ce changement de jauge ne modifie pas le champ magnétique.
Il existe d'autres changements de jauges, et notamment la jauge de Landau dans le cas d'un champ magnétique uniforme. La jauge de Landau permet de ramener le potentiel vecteur à ne dépendre que d'une seule composante. En partant de la jauge symétrique présentée plus haut et en appliquant une transformation de jauge avec $\chi(\vec{r}) = \frac{B}{2}xy$, alors $\vec{\nabla}\chi(\vec{r}) = \frac{1}{2}B(y,x,0)$, on trouve
$\vec{A'} = Bx \vec{e_y}$
On retrouve donc bien $\vec{B} = B \vec{e_z}$.
Pour une particule dans un champ magnétique, dont l'Hamiltonien s'écrit sous la forme :
$\mathcal{H} = \frac{1}{2m}(P - qA(R))^2$
On peut procéder à une transformation de jauge électromagnétique comme vue précédemment, mais il faut aussi effectuer une transformation de jauge quantique sur la fonction d'onde $\psi(\vec{r})$. En effet, si l'on a l'équation de Schrödinger
$i\hbar\frac{d\psi(\vec{r}, t)}{dt} = \frac{(P - qA(\vec{r}))^2}{2m} \psi(\vec{r}, t)$
et que l'on effectue une transformation de jauge électromagnétique, $\psi(\vec{r}, t)$ , n'est plus solution de l'équation de Shrödinger.
Une fonction d'onde $|\psi>$ est toujours défini à une phase près telle que
$|\psi\rangle \rightarrow |\psi'\rangle = e^{i\phi}|\psi\rangle$
Toutes les interactions fondamentales sont décrites par des théories (quantiques ou relativistes) invariantes de jauge locale.
Les niveaux de Landau
A partir de l'Hamiltonien évoqué précédemment il est possible par changement de variables de retrouver la forme d'un hamiltonien d'un oscillateur harmonique quantique dont on connait bien la forme des énergies, données par
$E_n = \hbar\omega_c\left(n+\frac{1}{2}\right) \quad n = 0,1,2,...$
avec $\omega_c = \frac{|q|B}{m}$ la fréquance cyclotron.
Les orbites cyclotrons sont tout autant quantifiées, et prennent la forme
$r_n^2 = \left(n + \frac{1}{2}\right)\frac{2\hbar}{|q|B} = \left(n + \frac{1}{2}\right)2\ell_B$
où l'on introduit la longueur magnétique $\ell_B = \sqrt{\frac{\hbar}{|q|B}}$.
Spectre des niveaux de Landau
Les niveaux de Landau sont fortement dégénérés, à deux dimensions, sans prendre en compte la dégénérescence de spin, la densité d'état par unité de surface est
$\rho(\epsilon) = \frac{m}{2\pi\hbar^2}$
et on peut donc introduire la dégénérescence $g$ d'un niveau de Landau par la densité d'état multiplié par $\hbar\omega_c$, soit le nombre d'états compris dans une tranche de $\hbar\omega_c$.
$g = \rho(\epsilon)\hbar\omega_c = \frac{eB}{h}$
et pour une densité de porteurs de charges $n$, soumis à un champ magnétique (donc avec des niveaux de Landau de dégénérescence $g$) on note le facteur de remplissage $\nu = \frac{n}{g}$. On peut donc réécrire la résistance de Hall comme
$R_H = \frac{h^2}{\nu e^2}$
Même si à priori $\nu \in \mathbb{Z}$, on remarque que lorsque $n = ig$ avec $i \in \mathbb{R}$ un entier (donc lorsque $i$ niveaux de Landau sont complètement remplis) la résistance de Hall est quantifiée telle que
$R_H = \frac{h}{ie^2}$
Nous ne sommes toujours pas à ce niveau capable d'expliquer la présence des plateaux de la résistance de Hall, et il nous faut aller un peu plus loin dans la compréhension de deux phénomènes cruciaux : le désordre et les états de bord.
Explication de l'effet Hall quantique par les niveaux de Landau [9]
Le rôle du désordre et les états de bord
Le désordre
Les expériences menées sur différents matériaux ont montré que le désordre jouait un rôle important. En effet, l'existence des plateaux de la résistance de Hall ne sont remarquables que pour des échantillons possédant des impuretés. Ces impuretés, provenant souvent de substitutions lors du dopage du semi-conducteur, peuvent être représentée par un potentiel $V(\vec{r})$ aléatoire à l'intérieur du matériau et où les variations spatiales sont lentes devant le rayon cyclotron. Les fonctions d'onde étant de largeur spatiale $\ell_B$, voient ce désordre comme un potentiel électrostatique $V$ local, et le désordre a donc pour résultat de faire déplacer les électrons le long des équipotentielles, celles-ci pouvant être fermées, le désordre va localiser les électrons autour des impuretés, empêchant ces ceux-ci de participer au transport électrique ni à la conductance de Hall.
Dérive des électrons le long des équipotentielles
Les états de bord
Un bord est caractérisé par l'existance d'un potentiel $V(y)$ qui confine les électrons dans le matériau. L'Hamiltonien prenant en compte cette contrainte s'écrit alors simplement
$\mathcal{H} = \frac{1}{2m}(P + eA)^2 + V(y)$
dont le spectre de l'énergie s'écrit tout aussi simplement
$E(y)_n = \hbar\omega_c\left(n + \frac{1}{2}\right) + V(y)$
Spectre des niveaux de Landau avec potentiel de bord
Les niveaux de Landau restent similaires à ceux décrits précédemment à une différence près. En effet, au cœur du système, le potentiel $V(y)$ est nul, en revanche, au niveau des bords, le spectre change à cause du confinement dans la direction $y$. Si on a vu au dessus qu'en volume les charges ne participent pas au transport électrique, les états de bord s'en charge tout en restant insensible aux impuretés. Une trajectoire près des bord repart toujours dans la même direction même après une collision sur une impureté.
Malgré l'impureté, l'électron continue sur sa trajectoire près d'un bordEchantillon à quatre à canaux. En bleu, les lignes de courant correspondent à un niveau de Landau rempli
La transmission aux bords est donc toujours parfaite. De plus, les états de bord sont chiraux, donc le courant allant dans un sens sur un bord, ira dans l'autre sens sur le bord opposé.
Pour une géométrie proche de celle utilisée par Von Klitzing dans son expérience, à 4 terminaux (contre 6 pour l'expérience du Nobel), nous avons les terminaux (1) et (2) où le courant est injecté et les terminaux (a) et (b) où l'on mesure le potentiel. Comme la transmission est parfaite, $V_1 = V_a$ et $V_2 = V_b$ et la résistance longitudinale est nulle telle que
$R_L = \frac{(V_a - V_b)}{I} = 0$
D'après la formule de Landauer (tiré du formalisme de Landauer-Buttiker), le courant total porté par un niveau de Landau rempli est
$I = \frac{e^2}{h}(V_1 - V_2)$
Ainsi, la résistance pour $i$ niveaux de Landau remplis, la résistance de Hall s'écrit
$R_H = \frac{h}{ie^2}$
On trouve donc bien une résistance quantifiée qui évolue par paliers car les perturbations liées au désordre ne modifient pas les états de bords.